Le Feuilleton à Tonton Riton : Vernier, « l’autre » Jacky V.

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Vernier, « l’autre » Jacky V. 

 

Salut les P’tits N’veux ! Bad news : Jacky Vernier nous a quittés il y a quelques jours. Peut-être ce nom ne dit-il pas grand chose aux plus jeunes ? Erreur, les kids, c’est moi qui vous le dis : en effet, sachez que c’est un immense bonhomme du TT français qui est parti… 

 

Que je vous dise un peu ça, si vous n’avez pas eu l’heur de connaître ces temps désormais reculés… Pour moi, qui ai commencé à vraiment m’intéresser au motocross dans les années 1969/70, puis qui ai pratiqué l’enduro à ses tous débuts dans l’Hexagone (à partir de 1974), forcément, Jacky Vernier, oh non, ce n’était pas rien !

 

Ben oui, faut d’abord vous expliquer qu’en ce temps-là, figurez-vous, petits-petits nous n’avions pas le bonheur de pouvoir nous faire offrir par nos parents ou quelque autre mécène ou sponsor un 50 KTM ou une Cobra, pas plus qu’une KX ou une SX 65, ni même la moindre 125 cc (et ce n’était pas une question de finances : il n’en existait tout simplement quasiment pas avant 1971) : on passait alors directement de la mobylette trafiquée, voire du cyclo à vitesses « crossisé » pour les plus chanceux, à la deux-et-demie, généralement d’occase si ce n’était franchement épavesque, pour se faire les dents et se préparer à entrer dans le monde de la compétition… « O tempora » : autre temps, autres mœurs ! 

 

A l’époque les boss d’un cross français en pleine santé avaient pour noms Serge Bacou, Jacky Porte, Joël Queirel, Michel Combes, les frangins Denis & Gilles Portal, Jean-Claude Nowak… Ces stars du MX hexagonal, déjà au top à la fin des sixties, quoique sortant assez rarement hors des frontières du territoire national, allaient dominer la trépidante scène locale tout au long de la décennie 70. 

 

Et donc fallait pas non plus oublier Vernier ! Né en novembre 1946, Jacques, dit Jacky, quelques années avant Vimondétait sacré champion de France 500 Inter dès 1969, lors de sa deuxième saison complète chez les pros. Ensuite il a pris un abonnement au top-5, si ce n’est au podium, au terme de chaque exercice jusqu’à la fin des années 70. Rapide, solide, un vrai pilier du MX d’chez nous. 

 

Ah, Vernier et ses CZ… Faut préciser que le monsieur a été l’un des premiers, si ce n’est LE premier de nos compatriotes à flasher sur les USA et à renifler ce qui s’y passait en matière de MX, à s’y intéresser de si près que par conséquent il y est parti (à ses croûtes naturellement, mettant une de ses motos dans sa 404 break… et la Peugeot sur un bateau, direction New York, si vous pouvez imaginer un truc pareil !) afin de s’aligner à la légendaire Trans-Ama ! Pour mémoire, à partir de 1970, alors que le motocross venait seulement tout juste de sortir de terre américaine, les plus grands champions européens, Belges (Joël Robert, Sylvain Geboers et Roger De Coster évidemment), Suédois (l’armada des pilotes Husqvarna, Torsten Hallman en tête), Tchèques (les CZ-boys officiels) et Britanniques (bientôt nettement en fin de course) sans oublier le Finlandais volant Heikki Mikkola par exemple, ont pris l’habitude de venir participer en fin de saison, après les Grands Prix de championnat du monde 250 ou 500 cc, à une sorte de tournée/démo qui non seulement donnait l’opportunité aux fans US de voir à quoi ça ressemblait, du « vrai » motocross au plus haut niveau, mais de plus permettait aux jeunes loups locaux, les Marty Smith, Brad Lackey, Gary Jones, Jimmy Weinert, Tony Di Stefano, Jim Pomeroy, Gary Semics et compagnie, puis bientôt un certain Bob « Hurricane » Hannah, de se confronter aux meilleurs spécialistes mondiaux et ainsi d’apprendre à vitesse grand V, d’acquérir les fondamentaux en vue, sans tarder, un jour prochain, de dépasser les maîtres… 

 

D’Amérique, détail qui tue, Jacky avait rapporté des numéros autocollants ultra-stylés, pur look US, qu’il ne manquait jamais d’utiliser par la suite en championnat de France, quand certains en étaient encore aux plaques barbouillées à la main, façon cradingue, à l’arrache. Oh so flashy ! A l’époque, ça m’avait marqué : rien que pour ça, le jeune spectateur passionné que j’étais n’avait d’yeux que pour lui et ses rutilantes CZ, toujours nickel ! 

 

Puis est venu le temps du rapprochement avec Marcel Seurat : JV est devenu pilote officiel Ossa, ce qui l’a axé en priorité sur le championnat 250, lui le soi-disant spécialiste des 500. Rapidement intégré à la société d’importation des machines catalanes, la CSM, rebaptisée assez vite SMVS (Société de Mécanique Vernier-Seurat) suite à l’entrée du nouveau-venu dans le capital, Vernier a même épousé Lysiane, la propre fille du boss ! Et c’est ainsi qu’on en arrive au fameux succès obtenu à l’Enduro du Touquet première édition, en 75. Ainsi le nom de Vernier figure-t-il à jamais sur les tablettes de l’Histoire, forever en première ligne au palmarès de cette course assez improbable et pour tout dire complètement dingue lancée par un inconnu nommé Thierry Sabine, lui-même inspiré par l’épreuve californienne de hare-scramble d’Elsinore entr’aperçue dans le film Challenge One, entouré de quelque copains et soutenu à bon escient par le maire de cette station balnéaire so chic de la Côte d’Opale.  L’histoire était en route : ce mini-événement médiatico-sportif, bien malin aurait été celui qui en eût imaginé la formidable destinée. Une success-story telle que quarante et quelques années plus tard cette aventure de folie est devenue une « classique » absolument imparable du calendrier international ! Rassemblant plus d’un millier de partants (deux mille candidats sur l’ensemble du week-end), non seulement des pilotes originaires de la planète entière, mix magique des amateurs et débutants mêlés aux champions confirmés, mais aussi une foule considérable de spectateurs (plus de trois cent mille fans enthousiastes massés entre plage et ville !) et même toute une région, les Hauts de France comme on dit dorénavant, qui se passionne pour l’événement, devenu tout simplement ENORME.

 

Ce triomphe au premier Touquet (face à deux cent cinquante concurrents, déjà) aura été un vrai point d’orgue dans l’histoire de la marque espagnole (ce qui cependant n’a surtout pas empêché son naufrage, tout comme celui de la plupart des constructeurs concurrents européens « contemporains », au passage) de même qu’il a métamorphosé celle de son pilote vedette, dans la mesure où cette victoire de prestige (ce dont nul n’avait conscience sur le moment !) a fait basculer, définitivement ou presque, la carrière de Vernier vers de nouveaux horizons, accélérant sa conversion à l’enduro. Dès lors notre homme devait se consacrer en priorité au championnat de France de la spécialité, remportant d’ailleurs le titre dès l’année suivante et se positionnant ainsi en ces temps héroïques comme le seul rival réellement à la hauteur face au premier héros de la nouvelle discipline en vogue, d’ailleurs un collègue de longue date sur les circuits de MX, Joël Queirel.

 

Monark puis KTM d’un côté, sous la bannière Royal Moto, Ossa puis Husqvarna (on allait voir naître la SIMA), l’affrontement au sommet entre les deux ex-crossmen merveilleusement « recyclés » en killers de spéciales, si proches au plan des performances et aux personnalités tellement différentes l’une de l’autre, a souvent pris des allures de combats dantesques, pas tout à fait « à la vie-à la mort » mais pas loin… Les duels, de toute beauté, entre ces deux maîtres de l’off-road français (« Are you ready to rumble ? » : « Joël Queirel vs. Jacky Vernier », ça c’était de la bombe, bébé !), par ailleurs tous deux chefs d’entreprise associés (le premier à Yves Cosson au sein de Royal Moto, le second à.. son beau-père, comme on l’a vu), ne sont-ils pas restés, dans les archives FFM comme dans l’imaginaire des passionnés transis aux yeux embués, de purs moments d’anthologie, quelques-unes des plus remarquables pages de l’histoire du sport moto tricolore ?

 

Moi qui les ai vécues, et souvent de très près, ces bastons, je vous le dis tout net, ça envoyait du lourd ! Sur tous les plans et on a rarement revu de semblables matchs par la suite… Justement, de mon côté, pour en revenir à mes steaks, les n’veux, lorsque je suis entré à Moto Revue et Moto Verte début 76, j’avais déjà eu l’occasion de tâter de très près l’un et l’autre des deux camps ennemis sur les sites des enduros du championnat de France, de Grasse à Brioude en passant par Cholet, Cros, Saugues, Mussidan, Iffendic, Troyes, Gaillefontaineetcetcetc, genre de hauts-lieux mythiques du TT de la période. Et dans un second temps ai-je rejoint la bande à Seurat, l’imposant Marcel m’ayant vendu une Ossa Désert à des conditions avantageuses (vil prix + prépa + assistance, une sorte de contrat « support », quoi) en vue de la saison 76, suite à quelques perfs en National l’année précédente sur une… KTM. Ce qui explique comment j’ai tout à coup fréquenté beaucoup plus assidûment la clique d’Argenteuil, bientôt déménagée à Beaune, disons la Seurat family au sens large, dans laquelle évidemment l’ami Jacky tenait une place de choix ! J’ai ainsi appris à mieux connaître un type délicieux, à la voix douce un peu cassée, un bon vivant en mode timide, ultra-cool dès qu’on avait la veine de faire partie des gens qu’il avait l’air d’apprécier et auprès desquels il laissait (à peine) fondre la glace. Un vrai calme, ce Jacky, relax et posé à la fois, amoureux fou de la nature, des grands espaces (d’où son attrait pour l’Amérique), un réel écolo avant l’heure, une bonne « nature » pour tout dire, à la condition physique irréprochable (il n’a débuté en motocross que super tardivement, selon les normes d’aujourd’hui, à 19 ans, après avoir envisagé de tenter de faire carrière en natation – et effectué son service militaire dans les parachutistes !), hyper-costaud sans être une baraque (1,70 mètre). Bref, un type épatant, définitivement de bonne compagnie !   

 

Puis la vie a fait son œuvre : retiré des circuits, séparé de « Chaton » mais demeuré en Bourgogne, Vernier avait monté un bouclard à Dijon aux côtés de sa nouvelle compagne. Il a même de temps à autre fait quelques apparitions sur des épreuves d’anciennes, et s’était même offert un one-shot au Touquet en 2009, bien avant la folie actuelle du Vintage, histoire de revenir visiter des lieux chargés d’Histoire et faire revivre de merveilleux souvenirs. 

 

Mais c’était trop beau, voilà t’y pas qu’a déboulé cette saloperie de maladie de merde : pensez, c’est d’abord Brigitte qui a succombé à l’été 2016, avant que cette horreur de crabe ne rattrape Jacky à son tour, qui s’est donc éteint le samedi 3 mars dernier. Nous laissant affreusement tristes, évidemment, hébétés, en tous cas méchamment perdus, à force de voir des proches et des amis lâcher la rampe l’un après l’autre ! C’est comme ça, passé soixante piges : lunettes de soleil et costume sombre, plus souvent que de sortir en boîte et partir pour Cythère, on se retrouve au pas à suivre une boîte au cimetière… Sans vouloir vous la jouer philosophe à deux balles, les n’veux, comme dit le Prez’ qui répète à l’envi cette réflexion de haut vol, assurément : « Life is hard, and then you die » !  

 

 

 

 

 

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